Le débat sur la légalisation du cannabis fait son retour dans les medias. On peut comprendre que cette campagne soit menée par des lobbyistes, attirés par un marché prometteur (la côte de la firme Leviathan
Cannabis à la bourse de Toronto a augmenté de 13.900 % en un an).
Mais c’est moins compréhensible chez certains élus, qui devraient être soucieux de la santé des citoyens. Ils invoquent l’inefficacité de la répression et l’absence de prévention. Selon eux, la légalisation du cannabis permettrait de mieux contrôler son usage. Cette démarche entrainerait également le démantèlement du trafic et fournirait des recettes pour financer la prévention et les soins. Mais constater l’échec de la répression dans notre pays doit-il conduire à « baisser les bras » ? Si l’on ne peut empêcher la fraude fiscale, ou le trafic d’armes, doit-on aussi les légaliser ?
Par la présence de THC (Tétrahydrocannabinol), le cannabis est très dangereux et d’innombrables données montrent qu’il ne s’agit pas d’une drogue douce. La France compte 1,6 millions d’usagers réguliers et se
classe ainsi en tête des 28 Etats européens. 300 000 enfants de 12 à 15 ans ont déjà expérimenté cette drogue. 300 morts de la route par an sont dues au cannabis et le risque d’accident mortel est multiplié par 14 lorsque
l’alcool est associé.
Chez les moins de 25 ans, dont le cerveau est en cours de maturation, le cannabis provoque des troubles psychiques pouvant mener à la schizophrénie. Statistiquement, la genèse des maladies mentales graves comme la schizophrénie ou le trouble bipolaire se fait entre 16 et 25 ans. Or, selon un rapport de l’OFDT (Office Français des Drogues et Toxicomanies), on note une augmentation de 50% des fumeurs de 15-16 ans entre 1995 et 2019. Sans compter les troubles du comportement, source de violence, de délits ou de suicides.
La situation ne cesse d’empirer avec l’augmentation de la teneur en THC (il y a 50 ans, le joint contenait 2 à 3% de THC alors qu’aujourd’hui le taux peut atteindre 40% et devient plus puissant qu’un rail de cocaïne). L’addiction conduit vers la recherche de drogues plus dures, comme la cocaïne. On estime que 10 à 20% des consommateurs de cannabis deviennent accros au crack.
De plus, nous savons maintenant que les mères fumeuses de cannabis transmettent à leurs enfants, par un mécanisme épigénétique (contrôle de l’expression des gènes), une appétence particulière pour cette drogue.
Malgré ce constat alarmant, nos concitoyens semblent abusés par une désinformation permanente et acceptent ceci comme une fatalité, une évolution inéluctable de notre société.
Pour simplifier : « cannabis=jeunesse=liberté pour beaucoup de nos élus qui craignent de
se couper de la jeunesse en s’attaquant à ce problème.
L’Uruguay, le Canada et 11 Etats américains sur 50 ont légalisé le cannabis à des fins « récréatives » après l’avoir autorisé à des fins médicales. Leur bilan néfaste devrait dissuader les tenants de la légalisation en France.
Une étude, menée dans 39 Etats américains, sur 118.500 sujets, a évalué l’impact de la légalisation du cannabis « médical » sur sa consommation illicite (« récréative »). Sur la période de 22 ans (1991-2013), l’usage illicite du cannabis a progressé dans tous les Etats, mais il a davantage augmenté dans les 15 Etats ayant autorisé son emploi médical (de 5,55% à 9,15%, soit +3,6%), alors que dans les 24 Etats où la drogue a conservé son statut illicite, sa consommation progresse moins (de 4,5% à 6,7%, soit +2,2%).
De plus, l’autorisation du cannabis à des fins médicales est responsable d’une augmentation des usagers illicites et présentant une addiction à cette drogue, estimés respectivement à 1,1 million et 500.000 individus. La légalisation au Colorado et dans l’Etat de Washington a entrainé une augmentation de la conduite sous l’influence du cannabis.
Dans l’état de Washington, en 2014, le nombre de conducteurs sous l’emprise du cannabis tués dans un accident a plus que doublé, pour atteindre 17%. Au Colorado, en 2015, 21% des conducteurs tués étaient
positifs au cannabis. Les décès liés à cette drogue ont augmenté de 48% sur 3 ans (2013-2015), comparativement à la période précédant la légalisation du cannabis à des fins récréatives (2010-2012), période où le nombre de morts sur la route a augmenté de 11%.
Il est vain d’espérer que légaliser le cannabis permettrait de contrôler sa puissance et sa qualité. L’usager régulier fumera deux fois plus pour ressentir les mêmes effets si la teneur est deux fois plus faible. Le contrôle de la teneur en THC était l’un des objectifs de la légalisation au Canada. Or, après 18 mois, la part du cannabis d’Etat n’est que de 40%, le marché noir ayant conservé 60% du marché.
La vente de cannabis par les pouvoirs publics ne permettrait pas plus de dégager des ressources suffisantes pour financer la prévention et les soins. Au Colorado, pour un dollar collecté l’Etat doit assumer 4,5 dollars de charges liées aux conséquences néfastes de sa consommation.
Le cannabis est associé au tabac, qui fait chaque année 70 000 morts en France, et produit 7 fois plus de goudrons cancérigènes que ce dernier. Devenu licite, il tuerait davantage car il est plus toxique. Il serait donc stupide de légaliser son usage alors que l’on essaie de réduire celui de la cigarette. Le THC induit une
désinhibition sexuelle qui peut conduire à la violence (viols, « tournantes ») et faire renoncer aux précautions contraceptives ou à la prophylaxie des MST.
Légaliser serait contradictoire avec les campagnes de prévention dans ce domaine. La légalisation, en facilitant l’usage du cannabis, serait une grave erreur des pouvoirs publics et constituerait un risque sanitaire majeur, en particulier pour la jeunesse.
Comment faire croire que le cannabis est dangereux si l’Etat, par nature protecteur, décidait qu’il n’est plus interdit d’en fumer ?
Certes, la répression du trafic dans notre pays n’est pas d’une grande efficacité, alors que nous avons un arsenal judiciaire parmi les plus répressifs d’Europe. Mais celui-ci n’est pas mis en oeuvre comme il devrait l’être, notamment à cause des aménagements de peines. Il n’est pas nécessaire de modifier la loi, il faut l’appliquer.
Le pays doit aussi se doter d’une vraie politique de prévention, inexistante aujourd’hui. En 2017, l’OEDT (Office Européen des Drogues et Toxicomanie) a décerné un carton rouge à notre pays en dénonçant un grave déficit d’information sur les drogues en milieu scolaire.
Il constate l’absence d’interventions fléchées dans les programmes scolaires (notation 1 sur 5), contrairement à ce qui est réalisé chez nos voisins (notation 3 sur 5). La mise en œuvre d’une politique ambitieuse
d’information et de prévention sur les drogues licites et illicites chez l’adolescent s’impose donc, avec l’appui d’enseignements fléchés dès l’école primaire, puis au collège, au lycée et à l’université.
Jean-Pierre PUJOL
Pr Honoraire de Biochimie (Université de Caen)
Membre du CNPERT (Centre National de Prévention, d’Etudes et de Recherches sur les Toxicomanies)